Wednesday, August 15, 2012
AndreÏ Makine
Je pensai, avant de m’endormir, que venant en France, Charlotte essaierait de comprendre ce qu’était devenue la littérature dont quelques vieux livres représentaient pour elle, en Sibérie, un minuscule archipel français. Et j’imaginais qu’en entrant, un soir, dans l’appartement où elle vivrait, je remarquerais sur le bord d’une table ou sur l’appui d’une fenêtre – un livre ouvert, un livre récent que Charlotte lirait en mon absence. Je me pencherais au-dessus des pages et mon regard tomberait sur ces lignes:
Ce fut en effet le matin le plus doux de cet hiver-là. Il faisait du soleil comme aux premiers jours d’avril. Le givre fondait et l’herbe mouillée brillait comme humectée de rosée… Ayant passé mon unique matinée à revoir mille choses, avec une mélancolie toujours croissante, sous les nuages d’hiver-j’avais oublié ce vieux jardin et ce berceau de vigne à l’ombre duquel s’était décidée ma vie… Vivre à l’image de cette beauté, c’est cela que je voudrais savoir faire. La netteté de ce pays, la transparence, la profondeur et le miracle de cette rencontre de l’eau, de la pierre et de la lumière, voilà la seule connaissance, la première morale. Cette harmonie n’est pas illusoire. Elle est réelle, et devant elle je ressens la nécessité de la parole…
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
Le Testament français
ReplyDeletepar Andreï Makine